Comment ta profession a-t-elle évolué depuis que tu as terminé ta formation ?
Catherine – Ce qui me vient immédiatement à l’esprit, c’est l’augmentation de la charge mentale et du travail physique. En parallèle, j’éprouve une perte de sens. Enfin, je constate que les intérêts financiers et de contrôle sont devenus prépondérants. On passe un temps fou à remplir des dossiers informatiques au lieu d’être auprès des patient-e-s.
As-tu l’impression que l’investissement des collègues plus jeunes est différent ?
J’ai participé à la formation des étudiant-e-s infirmiers-ères jusqu’à très récemment. Je me rends compte que les jeunes diplômé-e-s sont très vite désabusé-e-s. Cela se produit souvent au bout de quelques années, voire quelques mois seulement.
Assez rapidement, ces jeunes se dirigent vers le temps partiel car il y a trop de surcharge, trop de difficultés pour tenir sur un plein temps en gardant une vie sociale. La perte de sens due à la grande évolution de la profession n’est pas la même que celle ce que j’ai connue, heureusement. En revanche, ils et elles savent très bien verbaliser qu’ils et elles aimeraient passer davantage de temps avec les patient-e-s et moins sur les ordinateurs à valider des procédures, remplir des cotations, en plus des contrôles et transmissions nécessaires.
Comment as-tu passé la pandémie ?
Je n'ai pas vraiment été en première ligne, car je suis « vulnérable ». Ma hiérarchie m'a donc donné l'opportunité de ne pas travailler en contact direct avec les patient-e-s durant le pic de la pandémie. Pendant cette période, j'ai ressenti une pression supplémentaire au travail en raison de l'omniprésence du discours et des mesures liés à la pandémie. Parfois, j’ai senti une méfiance de mon voisinage, du fait que j’étais potentiellement en contact avec des patient-e-s infecté-e-s, avec plus de risques de transmettre la maladie.
Chez mes collègues, j’ai constaté une déstabilisation et une fatigue supplémentaires. Dans nos métiers de soignant-e-s, nous subissions déjà souvent une charge de travail tendue avant la pandémie. Avec ce virus, tout s’est compliqué, en tous cas les premiers mois.
Il y a aussi eu quelques effets inattendus, dus à la situation exceptionnelle. Certains jours, j’ai eu la possibilité de retrouver davantage de disponibilité et de temps auprès des patient-e-s, avec le sentiment de retrouver l'essence du métier que j'ai choisi !
Nous avons aussi bénéficié d’effectifs supplémentaires durant plusieurs mois. Enfin, très important, j’ai vu la solidarité se manifester comme rarement au sein de l’équipe.
Côté négatif, nous avons dû vivre avec davantage de changements de planning à court terme pour remplacer les absences et nous adapter aux horaires des collègues. Nous avons eu trop peu de récupération après les infections contractées. Cela a induit une grosse fatigue, persistante chez plusieurs collègues.
Tu t’approches de l’âge de la retraite. En Suisse, on discute d’élever l’âge de la retraite des femmes d’une année. Quel est ton avis ?
C’est une ineptie. Avec mes collègues – il y a beaucoup de cinquantenaires sur le site où je travaille –, nous nous disons souvent que nous serons peut-être plus handicapées que certain-e-s de nos patient-e-s à l’heure de la retraite !
Augmenter l’âge de la retraite est loin de représenter la solution. Avec les années qui passent, on supporte moins la charge de travail et la souplesse exigées. On voit les arrêts de travail qui augmentent, les collègues qui arrivent en burn-out, on se rend compte de la difficulté du métier de soignant-e-s, qui a avec pour conséquence que travailler jusqu’au bout avec l’implication et la technicité demandées devient presque impossible.
La CCT dans le canton de Neuchâtel risque d’être dénoncée. Comment encourager la mobilisation des collègues autour de cet enjeu ?
Je leur dis que, même si les perspectives semblent lointaines, c’est important de se mobiliser même quand on lors qu’on est jeune. Car sinon, lorsqu’ils et elles se soucieront de leurs conditions de travail – parce qu’ils et elles ont des enfants, ou que leur retraite approche –, les choses auront changé et ce sera trop tard.
Je leur dis aussi que si nous nous mobilisons toutes et tous ensemble dans le même sens, nous ne devrons pas craindre d’ostracisme.
Je leur dis aussi, car beaucoup sont françaises, qu’ils et elles doivent bien se renseigner sur des conditions dites « privilégiées », et qui ne sont peut-être pas aussi bonnes qu’ils et elles le pensent.
Autrement dit, rien n’est définitivement acquis: on pourrait perdre encore davantage de droits et rendre notre métier trop pénible.